Chesterton – Le paradoxe ambulant
Quand on lit Chesterton, on se sent submergé par une extraordinaire impression de bonheur. Sa prose est le contraire d’académique : elle est joyeuse. Ses mots rebondissent dans un jaillissement d’étincelles, tel un jouet mécanique soudain venu à la vie, cliquetant et tourbillonnant de bon sens, cette merveille étonnante entre toutes. Le langage était pour Chesterton un jeu de construction avec lequel fabriquer des théâtres de marionnettes et des armes pour rire et, ainsi que l’a observé Christopher Morley, “de ses jeux de mots naissait souvent un jeu de réflexion véritable”. Son écriture a quelque chose de riche et de précis, de coloré et de bruyant. La prétendue sobriété anglaise ne lui convenait guère, ni dans le vêtement (son vaste manteau flottant, son vieux chapeau mou et son pince-nez de gnome lui donnaient l’air d’un personnage de pantomime), ni dans les mots (il ne cessait de tourner et retourner une phrase que lorsqu’elle se déployait comme une liane en fleur, lançant des rameaux dans de multiples directions avec une fougue tropicale et s’épanouissant en plusieurs idées à la fois). Il écrivait et lisait avec la passion d’un glouton pour le manger et le boire, quoique sans doute avec plus de plaisir, et les souffrances du scribouillard penché sur la page blanche de Mallarmé semblent n’avoir jamais été les siennes, pas plus que les angoisses de l’érudit entouré de volumes anciens. La lecture d’un livre était pour lui une activité plus physique qu’intellectuelle. Le père John O’Connor, modèle du père Brown, disait que lorsque Chesterton lisait un livre, “il le retournait, en cornait des pages, griffonnait dedans, s’asseyait dessus, l’emmenait au lit et roulait sur lui, et puis se relevait et l’inondait de thé – s’il éprouvait un intérêt suffisant”. Et il écrivait avec le même brio, en débordant de son siège devant une table tachée de bière dans quelque café enfumé de Fleet Street. Là, un des serveurs italiens le décrivit ainsi: “C’est un homme très intelligent. Il est assis et il rit. Et puis il écrit. Et puis il rit de ce qu’il a écrit.” – Extrait de la postface, Alberto Manguel
First Edition
Arles, Actes Sud, 2004
Softcover, 376 p.
59 essays by G. K. Chesterton,
translated by Isabelle Reinharez
Selection and afterword by Alberto Manguel
Afterword translated by Christine Le Boeuf
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